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Télétravail : entre cadre légal et pratiques professionnelles, quel avenir ?

Le télétravail, depuis son introduction dans le paysage législatif français par la loi Warsmann de 2012, a connu une évolution significative. Il s’agit aujourd’hui d’un sujet clé du droit du travail, notamment à la suite des bouleversements engendrés par la pandémie de COVID-19.

Voici une analyse de sa définition juridique, de jurisprudences récentes et de la situation actuelle.

Définition du télétravail

Le télétravail est défini à l’article L. 1222-9 du Code du travail comme une organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait pu être exécuté dans les locaux de l’entreprise est effectué hors de ces locaux de manière volontaire et en utilisant les technologies de l’information et de la communication.

L’employeur met en place le télétravail dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans une charte qu’il élabore après avoir consulté le comité social et économique (CSE), s’il existe.

Les points-clés de la définition 

Volontariat : Un « télétravailleur » doit être volontaire. Le refus d’accepter du télétravail n’est pas un motif de rupture du contrat de travail.

Technologies de l’information : Les outils numériques sont au cœur de l’activité du télétravail. Les métiers ne pouvant se faire que par la présence physique ne sont donc pas éligibles.

Contractualisation : Le télétravail repose sur un accord mutuel entre l’employeur et le salarié, formalisé par un accord collectif ou une charte élaborée par l’employeur après avis du CSE.

Caractère réversible : Employeur et salarié peuvent mettre fin au télétravail ou en réduire la fréquence, mais la loi privilégie le salarié, qui peut demander un retour en présentiel.

Quelques décisions récentes sur le télétravail 

Les parties concernées ont sollicité à plusieurs reprises les tribunaux français pour qu’ils statuent sur des litiges liés au télétravail. Voici quelques décisions remarquables :

– Refus de télétravail injustifié :

Dans une affaire du 23 mai 2024 (n° 22/06513), la Cour d’appel de Paris a examiné le cas d’une salariée qui avait sollicité deux jours de télétravail par semaine, conformément à l’accord d’entreprise et aux recommandations de la médecine du travail. L’employeur n’ayant accordé qu’un seul jour sans justification valable, la Cour a considéré ce refus comme abusif et injustifié, constituant une violation de l’accord d’entreprise et des recommandations médicales.

Cette décision rappelle aux employeurs l’obligation de respecter les accords collectifs et les avis du médecin du travail, et de motiver tout refus de manière objective et légitime.

Jusqu’à ce jour, les juridictions ne tiennent pas encore comptent des recommandations du médecin traitant concernant le télétravail.

– Accident de travail et télétravail :

Dans une décision du 2 septembre 2024 (n° 23/00964), la Cour d’appel d’Amiens a jugé que la chute d’une salariée en télétravail, survenue alors qu’elle descendait l’escalier de sa maison pour prendre sa pause déjeuner, se présume être un accident du travail conformément à l’article L 1222-9 3° du code du travail.

La Cour d’appel a précisé que la chute s’est produite pendant une période autorisée pour la pause méridienne. L’employeur encadre cette période par ses directives, ce qui maintient le salarié sous son autorité et limite sa liberté totale.

La Cour a précisé que la présomption d’accident du travail ne s’appliquerait pas si la chute survenait hors de la période autorisée de pause.

Une décision définitive de la Cour de cassation est attendue pour trancher ce sujet de manière définitive.

– Indemnisation des frais liés au télétravail :

Dans une décision notable du 23 mai 2023 (n° 21/08088), le Tribunal judiciaire de Paris a jugé que l’employeur, en refusant de prendre en charge les frais liés au télétravail (tels que l’abonnement Internet et l’électricité), contrevient à son obligation de couvrir les dépenses engagées pour l’activité professionnelle.

Le tribunal a confirmé que l’employeur doit rembourser les frais professionnels liés au télétravail, même en cas de crise sanitaire, conformément à l’ANI du 26 novembre 2020.

Le tribunal a précisé qu’en l’absence de règles spécifiques, l’employeur peut indemniser ces frais de manière forfaitaire, selon le plafond URSSAF d’exonération de cotisations sociales fixé à 2,50 € par jour.

Cette décision rappelle aux employeurs l’importance de définir clairement les modalités de prise en charge des frais de télétravail pour respecter leurs obligations légales et conventionnelles.

Depuis son intégration dans le droit français en 2012, le télétravail s’est considérablement développé, en particulier avec la crise sanitaire.

Quelques statistiques sur le télétravail

– Plus de 25% des actifs pratiquent aujourd’hui le télétravail au moins un jour par semaine, selon une étude de la DARES [1] (2023).

– Parmi les télé-travailleurs, 44 % souhaiteraient conserver la même fréquence hebdomadaire ou mensuelle de télétravail, et 45 % l’augmenter, tandis que seuls 11 % voudraient télé-travailler moins ou plus du tout [2].

– Les secteurs les plus concernés sont les secteurs de l’information et de la communication, ainsi que les activités financières et d’assurance [3].

Avantages du télétravail

– Productivité accrue : De nombreuses entreprises rapportent une hausse de la productivité grâce au télétravail.

– Bien-être au travail : Les salariés déclarent avoir une meilleure conciliation entre vie personnelle et professionnelle. Car, le télétravail semble être un facteur modérateur du risque de conflits intra-familiaux, plutôt que l’inverse. Cela suggère aussi que le télétravail, et l’autonomie accrue que celui-ci confère, permet aux salariés de se rendre davantage disponibles pour leur famille [4].

– Réduction des coûts : Les entreprises économisent sur les frais liés à l’immobilier et à l’entretien des locaux.

Limites et défis du télétravail 

– Isolement des salariés : L’absence de lien social peut engendrer un sentiment d’isolement et nuire à la cohésion d’équipe.

– Distractions liées au cadre de travail : Pour certains salariés, l’environnement domestique présente des risques importants de déconcentration. Les employeurs peuvent contrôler et interdire l’usage abusif du téléphone, des réseaux sociaux ou des jeux vidéo au bureau.

– Manque de clarté des règles : Certaines entreprises n’ont pas encore mis en place de charte définissant les modalités précises du télétravail.

– Surcharge de travail : Le flou sur les horaires peut conduire à une intensification du travail.

Pour récapituler, notons que les avantages liés aux télétravail sont indéniables et l’ont rendu incontournable dans certains secteurs d’activités. Cependant, le télétravail apporte son lot de challenges, que les entreprises doivent manager avec stratégie.

Les perspectives d’évolution 

Le télétravail, désormais intégré à la culture professionnelle, continue d’évoluer.

– Flexibilité accrue : la généralisation des semaines hybrides (2-3 jours en télétravail).

– Réglementation renforcée : le législateur envisage de préciser davantage les droits des télétravailleurs, notamment en matière de droit à la déconnexion. Les pistes à l’étude sont :

  • Clarification des obligations des employeurs : imposer aux entreprises de définir plus précisément les modalités d’application du droit à la déconnexion. Cette obligation inclut l’élaboration de chartes ou la conclusion d’accords collectifs précisant clairement les plages horaires pendant lesquelles les salariés ne peuvent être sollicités. 
  • Renforcement des contrôles : accroître les moyens de l’Inspection du travail pour vérifier la bonne application du droit à la déconnexion et sanctionner les manquements.
  • Sensibilisation et formation : mettre en place des actions de sensibilisation à destination des employeurs et des salariés sur les enjeux du droit à la déconnexion et les bonnes pratiques à adopter.

– Accompagnement des entreprises : des formations sont développées pour aider les entreprises à gérer le télétravail et préserver le lien social entre collaborateurs. Voici deux exemples :

  • Une formation vise à aider les managers à conserver une proximité avec les collaborateurs en télétravail. Elle traite de la communication à distance, de la cohésion d’équipe et de l’adaptation des pratiques managériales au télétravail.
  • Une formation à destination des télé-travailleurs afin de leur proposer des outils pour adapter leur travail à distance en fonction de leur profil et de leur environnement, accroître leur efficacité par une organisation optimale, et maintenir des échanges de qualité avec les managers et les collègues. 

Conclusion

Le télétravail s’impose comme une réalité incontournable du marché du travail en France. Les lois et décisions de justice encadrent mieux le télétravail, mais des défis persistent, notamment en matière d’égalité de traitement et de bien-être des salariés. Le droit du travail reste donc un levier essentiel pour assurer un équilibre entre innovation et protection des droits.

Nous suivrons avec beaucoup d’attention les évolutions en cours.

[1] « Comment évolue la pratique du télétravail depuis la crise sanitaire ? » a été publiée le 5 novembre 2024. Cette analyse, référencée sous le numéro 64, examine l’évolution du télétravail en France entre 2019 et 2023.

[2] Le télétravail améliore-t-il les conditions de travail et de vie des salariés ? Etude Dares N° 65 publiée en novembre 2024

[3] Rapport de Statista

[4] Le télétravail améliore-t-il les conditions de travail et de vie des salariés ? Etude Dares N° 65 publiée en novembre 2024


Epiphanie AYERI

Juriste experte en Droit du travail, Droit de la Formation professionnelle. Fondatrice de MLDS Lire la suite…

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